dimanche 31 mars 2013

Quand le noir domine… Un bilan pour mars




Ce mois de mars restera gravé dans nos mémoires, je pense, par la gracieuse météo qu’il nous a offerte. Même si je suis dans une région pas si mal lotie (pas de tombereaux de neige cette fois-ci), je trouve que quelques degrés de plus et un peu moins de pluie ne seraient pas du luxe. Heureusement, je goûte à d’autres climats grâce aux romans, c’est toujours ça…
Ce mois de mars a presque exclusivement été tissé de lectures jeunesse et noires : seul un Modiano m’a permis de sortir de ces deux continents, et encore faut-il nuancer, parce que la trame de Un cirque passe a quelque chose de noir.
En jeunesse, peu de lectures m’ont transportée ce mois-ci, même si je n’ai eu aucune déception. Se détachent tout de même le tome 3 de The Agency, Les secrets du palais, qui m’a permis de retrouver l’une de mes héroïnes préférées, et La grande môme de Jérôme Leroy, par lequel j’ai concilié mon goût pour la littérature de jeunesse et mon amour du noir.

Les lectures les plus enthousiasmantes, prenantes, dérangeantes se sont situées du côté du roman noir :
l’immense plaisir de retrouver l’univers de Craig Johnson avec l’excellent Dark Horse,

le sentiment trouble provoqué par L’expatriée d’Elsa Marpeau, le goût âcre laissé par le très bon Deux petites filles de Cristina Fallaràs,


le côté échevelé de Je reste roi d’Espagne de Carlos Salem,

tout cela fait de mars un très bon cru noir. Il me faudra évoquer tout de même la légère déception éprouvée à la lecture de Cruelles natures de Pascal Dessaint, dans un billet que je mettrai en ligne dans quelques jours.

Pour l’heure, j’ai plongé dans Saturne de Serge Quadruppani, mais aussi dans Chronique d’hiver de Paul Auster : un grand écart pas désagréable…

Alors, c’est parti pour le mois d’avril !

vendredi 29 mars 2013

Deux petites filles de Cristina Fallaras



Présentation
Victoria Gonzàles est détective privé à Barcelone. Deux petites filles enlevées à leur junkie de mère ont été kidnappées sous le nez de leur mère d’accueil. Si le corps mutilé de l’une d’elles est rapidement retrouvé, l’autre manque à l’appel. Victoria se voit confier une mission : retrouver la fillette. La descente aux enfers peut commencer.

Mon avis
Voilà un roman noir TRES noir, sans concession, qui ne s’embarrasse ni de bons sentiments ni de pathos et qui est pourtant empreint d’humanité. Les personnages sont tous aux marges : de la société, de la folie. Il y a d’abord Victoria, alias Vicky, qui s’est rêvée journaliste – c’est encore ce que croit sa mère – et qui est détective privé, enceinte jusqu’aux yeux, à peine débarrassée de ses addictions. C’est un personnage peu aimable et pourtant je l’ai aimée tout de suite : c’est une dure à cuire, lucide sur les autres et surtout sur elle-même, qui se pose des tas de questions sur une maternité qui ne va pas de soi. Il y a son assistant Jesùs, un peu marginal, très alcoolique, dévoué à sa patronne. Ce curieux personnage est étrangement attachant lui aussi. Face à eux, une flopée de protagonistes barrés, dangereux, qui ont franchi depuis longtemps les frontières de la folie ou de la perversion criminelle, et s’ils sont effrayants, Cristina Fallaràs n’en fait pas pour autant des monstres de foire ni des clichés de méchants et de dingos, elle les charge d’une humanité dérangeante.
Cette galerie de freaks se meut dans une Barcelone qui est un personnage à part entière, mais que les amateurs de pittoresque ensoleillé passent leur chemin, car c’est une Barcelone des bas-fonds, des quartiers populaires désolés ou carrément glauques que peint Cristina Fallaràs, pas la Barcelone riante pour touristes. La misère fait des ravages et amène les plus fragiles à basculer dans la drogue, la prostitution, la criminalité. Il n’y a rien de misérabiliste dans Deux petites filles, juste une peinture désenchantée et sans concession, dépourvue aussi de tout angélisme.
L’intrigue se fraie un chemin dans ce paysage déjà chargé : je ne dirais pas qu’elle est sans importance, disons qu’elle ne cherche pas à occuper le premier plan. On voit bien ce qu’un auteur de thriller aurait pu faire du même sujet : une quête impatiente, pleine de suspense, de rebondissements pour retrouver la petite fille qui manque à l’appel. Et on finirait par la retrouver, d’ailleurs. Pas de ça ici. Le ton est donné tout de suite, et rapidement on sait ce qu’il en est : la petite est morte, dans des conditions atroces. L’enjeu est de comprendre qui tire les ficelles et la réponse est plus abominable que tout ce que le lecteur a pu imaginer, moins spectaculaire aussi, parce qu’on est dans un roman noir, pas dans un thriller. Finalement, le mal est tellement banal…
L’écriture est à l’image de cet univers et de son héroïne : sèche, dépourvue de coquetterie. Elle capte une atmosphère en quelques mots, elle pose un personnage en quelques lignes, avec une maîtrise époustouflante.
Je n’espère qu’une chose : que Métailié nous offrira d’autres romans de Cristina Fallaràs. J’aimerais bien retrouver le personnage de Victoria, aussi, mais c’est peut-être beaucoup demander.

Pour qui ?
Les amateurs de noir bien serré.

Le mot de la fin
A l’os.

Cristina Fallaràs, Deux petites filles (Las niñas perdidas), Métailié, 2013. Traduit de l’espagnol (Espagne) par René Solis. Publication originale : 2011. Lu en e-book.

jeudi 28 mars 2013

The Agency 3: Les secrets du Palais de Y. S. Lee



Présentation (quatrième de couverture)
Hiver 1860. Nouvelle mission pour Mary, et pas des moindres : la reine Victoria en personne a fait appel à l’Agency pour découvrir qui, parmi son entourage, dérobe jour après jour les objets d’art de Buckingham.
Mais la tâche se complique : le beau James est lui aussi mandaté pour les travaux du palais, alors que sa relation avec Mary est plus tumultueuse que jamais ! Et voici qu’il met au jour un complot contre la reine…

Mon avis
Quel plaisir de retrouver Mary, notre héroïne victorienne ! J’avais dévoré les deux premiers tomes, et je n’ai pas été déçue par ce nouvel opus, même si je n’ai pas autant vibré. Disons que les romans précédents d’Y. S. Lee m’avaient charmée parce que je les trouvais plus intéressants que la moyenne des « romans-jeunesse-victoriens-avec-héroïne-intrépide », c’était une excellente surprise. C’est peut-être cela qui m’a manqué avec ce tome 3 de The Agency : la surprise. Cependant, je ne vais pas faire la fine bouche, ce troisième volume est intéressant et je l’ai lu avec un immense plaisir. J’y ai retrouvé ce qui me plaît avec cette série : une héroïne moins mièvre que beaucoup, plus affirmée, le zeste de romance qui fait vibrer mon cœur de midinette, avec un James Easton en grande forme, plus séduisant et taquin que jamais, une construction impeccable. J’y ai retrouvé aussi, mais avec un vrai renouvellement, un sujet abordé avec un certain sérieux (je ne saurais juger du réalisme du traitement) : cette fois, ce n’est pas au milieu des ouvriers du bâtiment que s’intéresse Les secrets du palais, mais à l’univers de Buckingham Palace, à la domesticité – saisie des bonnes aux demoiselles de compagnie. Fortement hiérarchisé, codé, extrêmement strict et dur, ce milieu devient captivant sous la plume de l’auteure.
L’intrigue est une nouvelle fois très bien ficelée, avec des moments difficiles pour notre héroïne (les rencontres avec son père) mais aussi avec un côté nettement plus réconfortant, pour ne pas dire enchanté : je pense ici à l’évolution de l’histoire avec James Easton et aussi au rôle joué par une royale protagoniste qui va offrir à notre adorable détective les moyens de son indépendance.
La fin laisse supposer un nouveau volume avec un tournant dans la carrière de Mary…

Pour qui ?
Pour tous ceux (toutes celles ?) qui ont envie de se laisser embarquer par une héroïne fraîche et par des aventures captivantes.

Le mot de la fin
Royal !

Y. S. Lee, The Agency 3 : Les secrets du Palais (The Agency. The Traitor in the Tunnel), Nathan, 2013. Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Lilas Nord. Publication originale :Walker Books, 2011.

lundi 25 mars 2013

La grande môme de Jérôme Leroy



Présentation
Dora menait une vie un peu nomade avec sa mère, travailleuse sociale. Mais jamais elle n’aurait soupçonné que sa vie, que son identité même, reposaient sur un gigantesque mensonge, mis à jour avec une violence inouie. Brutalement, Dora découvre qu’elle s’appelle Emilie, qu’elle a une famille dont elle ignore tout à Rouen, que sa mère a un passé politique violent et criminel. Il lui faut tout apprendre et tenter de comprendre…

Mon avis
Je suis tellement étourdie parfois… J’ai voulu acheter Norlande de Jérôme Leroy et je suis repartie avec La grande môme. Oui, je sais, c’est difficile à croire mais c’est vrai. Bon, pas grave, je lirai Norlande une autre fois, le fait est que j’ai bien aimé, à quelques réserves près, La grande môme. Il s’agit d’une réédition, ce roman datant de 2007 (j’aime beaucoup les nouvelles maquettes de Rat noir).
Le sujet n’est pas facile et il est à mon sens abordé avec efficacité, sans que soit édulcorée la violence des faits et sans basculer dans le glauque ou le douteux.
La question de l’engagement est constamment posée dans le roman : elle l’est avant tout par le personnage de la mère d’Emilie – ou de Dora* – qui a connu la lutte armée lorsqu’elle était jeune femme. Jérôme Leroy en fait une figure de rédemption puisque lors de ses années de cavale, la « repentie » a converti son engagement armé en engagement social, oeuvrant pour les plus démunis quand elle-même a du mal à subvenir à ses besoins et à ceux de sa fille. Loin de suggérer une vision des choses angélique, ce choix permet de poser la question efficacement : les individus changent-ils ? y a-t-il d’autres voies d’engagement que la lutte armée ? l’engagement social rachète-t-il – au moins en partie – les engagements violents du passé ? Et puis il y a d’autres engagements, mis en question : l’avocat de la mère d’Emilie (gentiment moqué), le jeune red skin du lycée. J’ai seulement regretté le personnage du flic parano et ultra-violent qui fait « tomber » la mère en s’en prenant à la fille. Certes, il permet de montrer une forme – extrême – de violence policière, mais il m’a semblé caricatural, et pour tout dire, j’ai trouvé l’épisode peu crédible, même si je comprends l’intérêt narratif.
C’est ma seule réserve sur ce roman noir bien écrit, bien construit, au propos intelligent.
Par ailleurs, j’ai passé un agréable moment car Jérôme Leroy construit de jolis personnages et insuffle ce qu’il faut de romance adolescente pour plaire à de jeunes lecteurs. En bref, c’est du roman noir pour adolescents, qui ne prend pas les jeunes lecteurs pour des abrutis, qui pose des questions complexes et qui est bien écrit. Pas mal, non ?

* Les amateurs de noir apprécieront la référence à Robin Cook, son patronyme complet étant Dora Suarez.

Pour qui ?
Les amateurs de romans noirs bien fichus, denrée pas si courante dans le secteur ados.

Le mot de la fin
Bon, Norlande, sans tarder !

Jérôme Leroy, La grande môme, Syros/Rat Noir, 2013. Parution originale en 2007. Disponible en e-book début avril.